Acte I

La scène se déroule à Paris, le 6 août 1888. C’est une chaude journée d’été. Cela n’empêche pas Antoine Laroubine* de revêtir son plus beau costume. Il a un rendez-vous important.

Scène 1

Voilà Antoine qui se met en route. Il quitte son domicile du 257 rue Saint-Martin, face au Conservatoire national des arts et métiers, dans le 3è arrondissement. Antoine se rend au 5 rue du Grenier Saint-Lazare, qui contrairement à ce que l’on pourrait supposer ne se situe nullement à proximité de la gare du même nom. Cette petite rue, 123m de longueur seulement, se trouve dans le quartier Sainte-Avoye, dans le 3è arrondissement également. Antoine n’a donc que 500m à parcourir depuis son domicile, soit 6 ou 7 petites minutes. L’immeuble qui s’élevait au 5 rue du Grenier Saint-Lazare n’existe plus aujourd’hui, probablement détruit lors de la construction du quartier de l’Horloge dans les années 1970. Mais que vient faire Antoine à cette adresse ?

Scène 2

Après avoir patienté quelques instants dans l’antichambre, Antoine est reçu par Me Eugène Tansard qui a installé son étude notariale à cette adresse depuis 1875. Le voilà dans le bureau du notaire. Il commence par décliner son identité, il est né à Thiviers en Dordogne, il est âgé de 31 ans, majeur donc, et exerce la profession de cuisinier. C’est un heureux évènement qui l’amène. Il a rencontré « au pays » une jeune femme de 20 ans, Hélène Laussac. Ils s’aiment et sont résolus à se marier. S’il se présente aujourd’hui devant le notaire c’est pour constituer Maurice Reynaud, clerc de notaire à Thiviers, comme mandataire, auquel il donne le pouvoir de demander respectueusement en son nom à Jeanne Groleau, sa mère, demeurant à Thiviers, son conseil sur le mariage qu’il se propose de contracter. Le mandataire est enjoint à « requérir toutes notifications, faire toutes déclarations et généralement tout ce qui sera utile et nécessaire ». Antoine n’est pas venu seul en l’étude de Me Tansard, deux hommes l’ont rejoint qui jouent le rôle de témoins. Il s’agit d’une part de Lucien Leborgne, marchand restaurateur au 11 rue Pastourelle, d’autre part d’Alphonse Morvan, marchand traiteur au 16 rue Grenier Saint-Lazare. Au vu des professions et des adresses, on peut raisonnablement penser que ces deux hommes sont des amis d’Antoine, ou au moins des relations professionnelles. Ils attestent d’ailleurs le nom, l’état et la demeure du comparant, Antoine, qu’ils déclarent bien connaître. Mais cela fait déjà une heure que nos protagonistes sont réunis dans le bureau du notaire et il ne reste désormais plus qu’à signer la minute rédigée par Me Tansard.

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Il est temps de prendre congé, Antoine et ses deux amis quittent l’étude.

Acte II

La scène se déroule à Thiviers en Dordogne, le 20 août 1888.

Scène 1

Il est 8h du matin, en l’étude de Me Eugène Barthélemy Maisonneuve Lacoste. Ce dernier est assisté de deux témoins instrumentaires, Zacharie Bussière fils, négociant et Auguste Légier, clerc d’huissier, demeurant tous deux à Thiviers. Maurice Reynaud, clerc de notaire, explique à Me Maisonneuve, qui est peut-être le notaire pour lequel il travaille, agir comme mandataire d’Antoine Laroubine. Il requiert de Me Maisonneuve de se transporter au domicile de Mme Laroubine, la mère d’Antoine, pour lui faire la notification du présent acte respectueux.

Scène 2

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Le même jour, Me Maisonneuve, Zacharie Bussière et Auguste Légier se transportent au domicile de Mme Laroubine à Thiviers. Cela ne se passe pas aussi facilement que prévu, car ils n’y trouvent personne, ni la mère d’Antoine, ni aucun parent, ni personne attaché à son service. Le notaire ne peut que constater que les portes du logis sont fermées. Cet échec ne conduit nullement Me Maisonneuve à abandonner la partie, il est investi de sa mission et il est bien déterminé à la mener à son terme. Il a alors l’idée de se rendre en la demeure du plus proche voisin de Mme Laroubine, chez un dénommé Goujon [ou Gouzon, qui habiterait rue du Thon], plâtrier et aubergiste. Seule Mme Goujon est présente à cette heure. Le notaire l’interroge : n’a-t-elle point vu Mme Laroubine ? Fort heureusement pour lui, Mme Goujon est en mesure de lui livrer une information intéressante : Mme Laroubine est absente – le notaire l’avait bien constaté ! – mais on peut la trouver au lavoir de Sarceix où elle exerce sa profession de lavandière.

Scène 3

Me Maisonneuve et ses deux acolytes quittent le bourg de Thiviers pour gagner, à pieds sans doute, le lavoir de Sarceix. Occupée à sa tâche, avec le bruit de l’eau, Mme Laroubine n’a peut-être pas immédiatement entendu l’arrivée des trois hommes. Elle n’est peut-être d’ailleurs pas seule à s’activer au lavoir. Le notaire, haussant la voix, demande à la cantonade si Mme Laroubine se trouve là. Se retournant, elle se relève, s’approche de l’homme qui la demande et s’annonce comme étant la personne qu’il recherche. Le notaire s’empresse alors de lui expliquer la raison de sa venue. Il lui notifie de manière très formelle l’acte respectueux par lequel son fils Antoine lui demande son conseil sur le mariage qu’il se propose de contracter avec Hélène. A peine le notaire a-t-il fini de prononcer ces paroles – elle n’ose l’interrompre – qu’elle lui rétorque avec aplomb mais poliment qu’elle a déjà fait connaître à son fils les motifs qui la conduisent à désapprouver le mariage projeté. Malheureusement pour moi, car le notaire l’eut sans doute consigné, Mme Laroubine indique à Me Maisonneuve qu’elle ne croit pas utile de lui répéter lesdits motifs. On n’en saura pas plus. Quoi qu’il en soit, elle confirme qu’elle persiste dans son refus de consentir au mariage. Le notaire rédige alors immédiatement un procès-verbal, demande à Mme Laroubine d’y apposer sa signature mais cette dernière indique ne pas savoir signer. Qu’à cela ne tienne, Me Maisonneuve signe le procès-verbal, de même que les deux témoins qui ont assisté à toute la scène. Il laisse ensuite à Mme Laroubine des copies du procès-verbal et de l’acte respectueux.

Acte III

La scène se déroule à Thiviers en Dordogne, le 29 septembre 1888.

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Dans la salle des mariages de la mairie, il est 20h30 et Antoine et Hélène viennent d’être  unis par l’adjoint au maire. [Je ne savais pas qu’on célébrait des unions à une heure si tardive !] Les mariés sont heureux. Sans doute Antoine se rappelle-t-il néanmoins le refus de sa mère de consentir à son mariage. On imagine qu’il a parlé de son projet à sa mère à maintes reprises, espérant vainement la faire changer d’avis. Les raisons d’une telle intransigeance de Jeanne me resteront inconnues, même si je conserve l’espoir de découvrir un jour un indice. Quoi qu’il en soit, la mère d’Antoine, est bel et bien absente lors du mariage de son unique fils, elle est restée chez elle. La mère de la mariée est, elle, présente, et Antoine peut malgré tout compter sur le soutien de son beau-frère Edmond Huré, lui aussi présent, comme témoin. C’est le signe que le mariage n’a pas entrainé pour Antoine une rupture avec l’ensemble de sa famille. Tant mieux.

Quelles furent par la suite les relations entre Antoine et Jeanne ? A ce jour je perds la trace de Jeanne à partir de 1888 et ne suis donc pas en mesure de répondre à cette question.

Enfin, pour conclure, c’est parce qu’Antoine avait plus de 30 ans qu’un seul acte respectueux a été nécessaire. S’il avait eu moins de 30 ans, il aurait dû renouveler deux fois sa demande auprès de sa mère. Il fallait dans tous les cas attendre ensuite un mois après la date du dernier refus de consentir pour pouvoir légalement célébrer le mariage. Dans notre cas, un mois s’est bien écoulé entre le 20 août et le 29 septembre.

Et vous, avez-vous déjà croisé des cas de refus de consentement des parents au mariage de leur enfant ? Et si oui, avez-vous pu découvrir les raisons du refus ?


* Antoine Laroubine et Hélène Laussac sont mes arrières arrières grands-parents par mon grand-père maternel.