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Je n’ai pas publié d’article depuis quelques mois et le dernier annonçait des recherches sur la Grande Guerre. Mais, en généalogie comme dans la vie, il faut parfois savoir quitter – ne serait-ce que temporairement – le chemin que l’on s’est fixé. Aujourd’hui je ne viens donc pas vous parler d’un épisode de la Grande Guerre, mais d’une découverte généalogique toute fraiche.

Hier en fin de journée, la twittosphère généalogique est en émoi : le site bien connu genealogie.com devient Filae.com et annonce simultanément avoir indexé l’intégralité de l’état civil français du 19e siècle, dans la limite chronologique et territoriale des archives  départementales déjà publiées en ligne. L’offre est alléchante et avec un accès gratuit proposé jusqu’au 13 décembre, il ne m’en faut pas plus pour franchir le pas. Une fois inscrit, je lance plusieurs recherches, notamment sur des ascendants ou collatéraux dont j’avais perdu la trace depuis de nombreuses années. Les résultats sont plutôt satisfaisants et me permettent de trouver les mariages et décès d’un certain nombre d’entre eux, avec la perspective de recherches relancées par la même occasion. Jusque là de bonnes nouvelles, mais rien d’exceptionnel donc.

Dans le cadre de recherches sur la famille de mon grand-père paternel, je me souviens que sa propre grand-mère paternelle, Emélie Vilfrid, n’est pas la seule de sa famille à avoir quitté leurs collines nivernaises natales pour monter à Paris. Au moins une de ses sœurs a fait de même et certains de ses neveux et nièces. C’est du moins ce dont je crois me souvenir. Dans le moteur de recherche du site je tape donc le patronyme Vilfrid en ciblant sur Paris et la région parisienne. Je ne trouve rien de bien concluant à première vue sur les soeurs et/ou neveux dont je cherche la trace. Je ne suis pas non plus surpris de trouver mention des publications de mariage d’Emélie Vilfrid, mon arrière arrière grand-mère, en 1893, à Paris. C’est en effet cette année-là qu’elle épouse mon arrière arrière grand-père Edouard Mabire avec qui elle vivait déjà en concubinage. Ce ne sont pas de très jeunes mariés, elle a bientôt 34 ans et lui bientôt 39. Déjà parents d’une petite Renée, deux autres enfants naîtront après leur mariage, Emile, mon arrière grand-père, et Maximilien. Des noms familiers, et des personnes bien connues dans la famille.

Je clique de façon systématique sur les résultats de ma recherche et je découvre alors la naissance d’une dénommée Victoire Vilfrid en 1881 à Paris. Il s’agit en fait d’un acte de reconnaissance. A la lecture de l’acte je suis surpris : la mère qui reconnait l’enfant se nomme Emilie Vilfrid et dit être âgée de 20 ans. Tiens donc, mais mon arrière arrière grand-mère se nomme Emélie Vilfrid, et est née en 1860, ce qui lui donne 21 ans. Un an de différence et une orthographe du prénom légèrement différente, avec un i à la place du é. J’observe qu’Emilie Vilfrid déclare ne pas savoir signer lors de la reconnaissance de sa fille. Je me précipite sur l’acte de mariage Vilfrid-Mabire et je constate que l’épouse déclare là aussi ne pas savoir signer. Le faisceau de coïncidences est fort. Et si Emilie Vilfrid qui reconnait pour sa fille Victoire en 1881 était la même personne qu’Emélie Vilfrid qui se marie en 1893 ? A ce stade cela me parait fort probable. Après tout, avoir un enfant naturel continue d’être assez fréquent à cette époque, et passé le premier mouvement de surprise je me convainc qu’il n’y a là rien d’extraordinaire. J’ai d’ailleurs plusieurs enfants naturels issus de mères célibataires parmi mes ascendants. Emélie a donc eu un enfant naturel, une petite fille, qu’elle a prénommé Victoire, sans doute du nom de sa sœur. L’enfant sera mort en bas âge à une époque où la mortalité infantile continue d’être élevée.

Par réflexe, c’est toujours ce que je fais lorsque je tombe sur un acte de reconnaissance, je vais consulter l’acte de naissance correspondant. Je ne m’attends à rien de spécial, peut-être la mention de la reconnaissance en marge. Mais, une fois devant l’acte, je n’en crois pas mes yeux, car si en marge il n’y a finalement pas de mention de la reconnaissance, il y a d’autres mentions ! Des mentions que je suis à des années-lumières de penser trouver là. La mention d’un premier mariage, la mention d’un second mariage et enfin la mention d’un décès. Tout ce que j’ai jusqu’à présent imaginé, un enfant naturel mort en bas âge bien avant le mariage et dont personne n’a donc jamais entendu parler, s’effondre d’un coup. Victoire a vécu, plusieurs décennies !

Je n’y comprends plus rien. Mon arrière arrière grand-mère Emélie Vilfrid a eu une fille, Victoire, qui a atteint l’âge adulte, s’est mariée, et dont personne dans ma famille n’a jamais entendu parler jusqu’à ce jour ?

Je jette un oeil un peu plus attentif aux mentions marginales de mariage et je constate que le premier mariage de Victoire a été célébré dans la Sarthe. Cela m’étonne, une Parisienne qui va sa marier dans la Sarthe, à cette époque il me semble que c’est plutôt le mouvement inverse qui se produit le plus fréquemment.

Immédiatement, une lumière me traverse l’esprit : Emélie a abandonné sa fille ! En effet, les enfants assistés de la Seine étaient fréquemment placés dans des familles d’accueil en province et il me semble que cela pourrait expliquer le mariage de Victoire dans la Sarthe.

Les répertoires d’admission des enfants assistés de la Seine sont en ligne sur le site des Archives de Paris,  je feuillette virtuellement quelques pages à partir de la date de naissance de Victoire en 1881. Et là, en juillet 1882, je vois apparaitre les noms et prénoms recherchés, Victoire Vilfrid, avec un numéro de matricule.

Ce matin, je prends le chemin des archives de Paris, afin de consulter le dossier d’enfant assisté de Victoire et d’y voir peut-être plus clair.

Dans le dossier, l’identité de la mère est bien indiquée : Emélie Vilfrid, née le 25 janvier 1861 à Montenoison (Nièvre). Emélie est en fait née le 26 janvier 1860, mais étant donné qu’elle est illettrée il est fort possible qu’elle ne sache pas précisément sa date de naissance. De toute façon à Montenoison il n’y qu’une Emélie Vilfrid née à cette période et c’est la mienne.

Plus de doute donc, Victoire est bien la fille de mon arrière arrière grand-mère Emélie Vilfrid, faisant de Victoire la soeur de mon arrière grand-père Emile, et la tante de mon grand-père.

Hélas, mon grand-père nous a quittés et je ne peux donc pas courir lui annoncer la nouvelle.

Quoi qu’il en soit, c’est la découverte la plus incroyable que j’ai faite à ce jour dans ma généalogie. Trouver une proche parente dont je n’ai jamais entendu parler ni par mon grand-père  ni par personne de ma famille me conduit à penser que les trois enfants légitimes d’Emélie n’ont sans doute jamais connu l’existence de cette sœur. Edouard, époux d’Emélie l’a-t-il lui même su ? Ou Emélie a-t-elle toute sa vie conservé ce secret ?

Nous y reviendrons …

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