Pour mieux connaître le parcours de mes ancêtres, je ne suis pas le seul généalogiste à m’intéresser à leur patrimoine immobilier, qu’il s’agisse de terres bâties ou non bâties. L’étude de ce patrimoine permet de mieux appréhender, bien que partiellement, les variations d’un individu ou d’une famille sur l’échelle sociale, l’impact des fluctuations économiques, leurs stratégies d’investissement, et encore bien d’autres choses.
Naturellement, Ernest Bidard, mon arrière-arrière-arrière-grand-père, n’a pas échappé à un examen le plus minutieux possible de sa situation patrimoniale au cours de sa vie d’adulte. Comme Ernest est né en 1849, il existe plusieurs fonds d’archives permettant assez facilement de trouver des réponses à ces questions pour les XIXe et XXe siècles. Faire le même travail pour un ancêtre ayant vécu sous l’Ancien Régime présente davantage de difficultés. Toutefois, bien que relativement simple à mener, le résultat de ces investigations m’a laissé quelque peu déçu. En effet dans le cadastre (qui répertorie tous les propriétaires) de la commune de Fresnay-le-Gilmert, dans l’Eure-et-Loir, à quelques encablures de Chartres, Ernest n’apparait jamais, alors que c’est là qu’il a toujours vécu, de la naissance à la mort. J’en conclus donc qu’il n’a jamais rien possédé dans ce village.
Mais, pour ne rien laisser au hasard, je contrôle les archives hypothécaires du ressort de l’arrondissement de Chartres et constate avec surprise qu’Ernest y possède une « case », disons un compte. Ledit compte indique une seule et unique transaction.
Le détail de la transaction me confirme que je ne suis pas passé à côté d’une acquisition à Fresnay-le-Gilmert. Ernest a bien acheté une parcelle de terre, mais sur la commune voisine de Briconville. Il s’agit d’une parcelle de 18,56 ares, soit 1856 m², de bois et landes, située au « champtier de la rivière coupée », à Briconville donc. La transaction a été conclue devant Me Rossignol, notaire établi dans le village proche de Clévilliers, les 19, 23 et 29 décembre 1882 et 12 mai 1883. 4 rendez-vous avec le notaire pour conclure une vente somme toute assez simple, voilà qui a de quoi étonner…Enfin, le prix a été fixé à 215 francs qu’Ernest s’engage à payer dans un délai de 2 ans. Je ne connais pas pour le moment la date précise à laquelle il s’est libéré de cette créance.
A quoi pouvait bien servir à Ernest l’achat de cette terre ? La question reste ouverte. Bien que peu éloignée de Fresnay-le-Gilmert où il habite, il faut quand même compter environ 2kms à pieds pour s’y rendre. De plus, pas question d’y pratiquer des cultures puisque la terre est boisée. Peut-être source de bois nécessaire pour se chauffer en hiver ?
Sur cette photographie aérienne (GoogleEarth), j’ai dessiné un cercle vert autour du bois dans lequel se situe la parcelle d’Ernest. Au nord on voit les premières maisons de Briconville, et au sud-est celles de Fresnay-le-Gilmert.
Je me suis ensuite questionné sur le devenir de cette parcelle de terre. Ernest n’ayant laissé à son décès en 1914, à la veille du premier conflit mondial, , aucune déclaration de succession, sans doute du fait de la faiblesse de son héritage, je me suis de nouveau tourné vers la consultation du cadastre. Cette fois, celui de Briconville. La consultation de la matrice des propriétés non bâties pour la période 1914-1930 m’apprend que la parcelle est alors évaluée à 18,13 ares, située au « champtier du Bois du Moulin ». Malgré ces variations de mesure et de dénomination il s’agit bien de la même parcelle, cadastrée C 16p. La matrice n’indique aucun changement de propriétaire sur la période. Sachant qu’Ernest est décédé en 1914 et son épouse Adélaïde en 1923, je suis un peu surpris. Qu’à cela ne tienne, je poursuis ma recherche. En 1930, le cadastre de Briconville est « rénové » et de nouvelles matrices établies. La parcelle n’est plus cadastrée C 16p mais C 103. Le propriétaire indiqué n’est plus Ernest, mais « les héritiers de Ernest Athanase Bidard ». Tiens donc, la parcelle semble donc n’avoir fait l’objet d’aucun règlement et être restée en indivision. La matrice est révisée en 1951, sans changement quant au propriétaire. En 1963 a lieu le remembrement et la parcelle change une dernière fois de dénomination, devenant ZC 79, mais toujours rien pour ce qui est du propriétaire. Cette matrice ayant eu cours jusqu’aux années 1970, je la referme un peu interloqué.
Sur cette carte (Géoportail), le bois apparait en vert clair et la parcelle ZC 79 en vert émeraude.
J’imagine alors que la vente ou le partage de cette terre a dû se faire à une époque plus récente encore. Je m’adresse donc au service de la publicité foncière de Chartres, afin de connaitre le détail des formalités hypothécaires concernant cette parcelle dont je connais le numéro et la section, pour la période post-1956 jusqu’à nos jours. La réponse me revient négative. Surpris, je me permets d’insister auprès du SPF, d’autant que cela m’a coûté la bagatelle de 12€ pour obtenir une réponse négative. Ils me confirment qu’aucune formalité n’a été trouvée sur la période.
Il ne me reste plus qu’une dernière carte à jouer : contacter le centre des impôts de Chartres pour savoir qui possède cette parcelle aujourd’hui. Cette fois la demande est gratuite et la réponse me parvient dès le lendemain. Je lis avec surprise que le propriétaire actuel de la parcelle ZC 79 de Briconville est : « Succession Ernest Athanase BIDARD ».
Ainsi, plus d’un siècle après la mort d’Ernest, la parcelle de bois qu’il avait achetée sur la commune de Briconville en 1883 serait restée dans le giron familial et n’aurait jamais fait l’objet d’aucune vente ni règlement successoral entre les descendants. Qui parmi les descendants d’Ernest se souvient de l’existence de cette parcelle de bois ? La parcelle étant exonérée de taxe foncière, personne n’a à s’en soucier. Mais si à son décès Ernest avait 4 enfants vivants, ils sont aujourd’hui plus d’une trentaine d’héritiers (je ne parle pas ici du nombre bien plus important de ses descendants).
J’ai quand même trouvé émouvant de constater qu’en 2017 les nom et prénom de mon arrière-arrière-arrière-grand-père apparaissent encore sur les rôles d’imposition en vigueur !
Rendez-vous dans 100 ans pour vérifier que la parcelle appartient toujours aux héritiers d’Ernest ?
Ces deux clichés du bois (Google Street View) sont pris de la D121, vue en venant de Sénarmont (en haut) et vue en venant de Briconville (en bas).
C’est une très belle enquête et merci de la partager. Je serais curieux de savoir si dans le registre des impôts, il est aussi inscrit quand et où le propriétaire est décédé.
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Ha ha, super ! Tu sais maintenant où aller chercher du bois pour cet hiver !!!
C’est terrible je trouve, de se trouver par hasard héritier d’un truc oublié ! C’est comme un clin d’oeil de l’ancêtre concerné…
Du coup, est-ce que tu prends contact avec les co-héritiers ?
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Pour le moment je n’ai pas pris de décision en ce sens ! On verra … je réfléchis 😉
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Bel article ! Je ne m’attarde jamais sur le patrimoine de mes ancêtres, pour cause de temps certainement ! Je crois qu’il faut que je m’y penche ! Merci à vous pour vos articles toujours intéressants !
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Vraiment une drôle et touchante histoire ! Une cousinade pour découvrir cette parcelle de bois mystérieuse qui appartient encore à la famille ?
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Pourquoi pas !? Il va falloir prévoir les cisailles et les coupe-branches pour accéder à la parcelle au milieu du bois!
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Voilà la démonstration que le cadastre, en France, a une vocation fiscale et non juridique.
En d’autres termes, le cadastre établit les limites de parcelle et donc de propriété afin d’établir le ou les impôts dûs mais il ne détermine pas le/les titulaire/s des droits de propriété.
Si on imagine que la succession d’Ernest au moment de la 1ère GM a pu être compliquée, il est surprenant que celle d’Adelaïde n’en fasse pas état.
Très intéressant en tout cas.
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Bonsoir, Comment je peux voir pour 89800 Chichée ( dans l’Yonne)???
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Bonsoir, je ne comprends pas votre question. Voir quoi ?
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Quelques mois plus tard, moi j’aimerais bien savoir où tu en es par rapport à ce petit bois…
Est-ce que tu as fait des démarches pour rétablir un acte de propriété actuel par exemple ?
C’était une si chouette découverte !
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Hélène, pardonne-moi de répondre à ce sympathique commentaire avec retard.
Malheureusement quelques mois plus tard, on est encore loin des 134 ans!, la situation telle qu’exposée dans mon article n’a pas vraiment évolué. Car à vrai dire après avoir fait cette découverte je ne sais pas par quel bout la prendre.
Contacter tous les ayants-droits vivant de mon ancêtre Ernest c’est très compliqué, ils sont nombreux et pour beaucoup perdus de vue même si j’ai une partie de la généalogie descendante.
En dehors de ça quelles autres possibilités ? Je sèche, même si la situation est un peu ubuesque !
Si tu as des idées…qu’entends-tu par « rétablir un acte de propriété actuel » ?
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Hélas je ne m’y connais pas, il faudrait trouver un notaire je pense pour ces conseils. En plus peut-être qu’il y a un genre de péremption au bout d’un certain temps, et que le bien non réclamé tombe dans l’escarcelle de l’Etat ?
Il y a peut-être un #notaire sur twitter ?
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Après être « tombée dans la matrice », je parcours cet article intéressant.
Je sais que ces biens en désuétude -bâti ou non- peuvent faire l’objet d’une « réquisition » de la part de la mairie en tant que « bien sans maître ». La procédure veut alors que le maire intéressé pour rapatrier ce lot dans les biens communaux procède à une recherche des propriétaires par le biais d’annonces dans les journaux locaux durant quelques mois. Si personne ne se manifeste, la mairie peut entamer les démarches. Sans compter la possibilité pour d’autres de faire valoir le « droit d’usus ». Un miracle que celle-ci soit restée la propriété des héritiers d’Ernest aussi longtemps !
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